Financement de la Sécurité sociale écologique universelle

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Une des limites importantes concernant l’élargissement des droits est la question du financement. Cela renvoie en premier lieu au taux des cotisations sociales, ainsi qu’au nombre d’emplois et au niveau global des salaires à l’échelle nationale.

On peut facilement s’accorder sur le fait qu’il y a des richesses considérables qui sont accaparées par une minorité. La socialisation d’une part importante de ces richesses générées par le travail de toutes et tous pourrait permettre de rétablir l’entièreté des droits à la santé et à la retraite. Elle pourrait aussi rendre possible l’instauration de droits nouveaux.

Depuis 1945, les cotisations sociales – patronales et salariales – sont calculées sur le montant des salaires de celles et ceux qui travaillent. Jusque dans les années 90, où la volonté d’étatisation de la Sécurité sociale s’est progressivement imposée, elles ont constitué l’essentiel des ressources mutualisées permettant à la Sécurité sociale de garantir la protection sociale et d’assurer la prise en charge des frais de santé à chacun.e.

Ces cotisations représentent la part de la valeur ajoutée ou de la richesse produite par les travailleuses et les travailleurs, qui leur revient sans leur être versée en salaires individuels. Elle est mutualisée et gérée au sein du système de Sécurité sociale par celles et ceux qui l’ont générée, pour l’intérêt de toutes et tous. Cela différencie les cotisations sociales des impôts qui alimentent les finances publiques gérées par l’État.

C’est prioritairement sur cette base fondatrice qu’il s’agit d’envisager la reprise en main et les élargissements du système de Sécurité sociale.

Reste à imaginer les moyens concrets possibles à mettre en œuvre pour y parvenir à l’échelle nécessaire, moyennant un changement de cap politique et institutionnel indispensable.

Augmentation du revenu pour le plus grand nombre

Considérons que l’ensemble des nouveaux droits garantis par la SSEU en termes d’alimentation, de logement, d’énergie et d’eau, représentent l’équivalent de 500 euros* mensuels attribués à chaque personne habitant sur le territoire français, hors revenus en monnaie.

* Cette valeur est un ordre de grandeur indicatif, le montant des droits garantis devant notamment tenir compte des capacités à y répondre.

Cette valeur de 500 euros, potentiellement disponible via la carte vitale sous forme de droits d’accès aux biens et services concernés, s’ajouterait aux salaires et revenus monétaires perçus par chacune et chacun. Elle constituerait une part de salaire socialisé attribuée à toute personne vivant sur le territoire français, indépendamment de son activité professionnelle ou contractualisée.

Pour les personnes percevant aujourd’hui le SMIC, ce montant équivalant à 500 euros supplémentaires amèneraient leur revenu global, droits SSEU compris, au niveau actuel du salaire médian*, passant d’environ 1200 euros nets à 1700 euros.

* Le salaire médian est le salaire dont la moitié de la population active perçoit moins et l’autre plus.

Afin de financer en partie ces nouveaux droits, on pourrait envisager un système de contributions payées par les employeurs sous forme de cotisations patronales supplémentaires proportionnelles aux salaires dépassant, par exemple, 2500 euros nets mensuels.

L’un des principes fondateurs de la Sécurité sociale est que « chacun donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ». Conformément à ce principe, les personnes percevant des revenus supérieurs à 2500 euros mensuels, pourrait se voir prélever une cotisation salariale supplémentaire, proportionnelle à leur rémunération et pouvant atteindre jusqu’à 500 euros.

A lui seul, ce système pourrait assurer le financement d’une part conséquente des droits supplémentaires mis en œuvre.

Évolution des modes de calcul des cotisations sociales

Dans un contexte de dégradation écologique accélérée et de décroissance énergétique nécessaire, il semble important d’envisager d’autres formes de financement et de cotisation, en complément des cotisations sociales telles qu’elles sont calculées aujourd’hui.

En effet, le calcul des cotisations proportionnelles au montant des salaires, favorise aujourd’hui les entreprises qui versent les plus bas salaires, robotisent, sous-traitent ou délocalisent.

Malgré les difficultés politiques et techniques probables, l’instauration de cotisations sociales calculées sur l’ensemble de la valeur ajoutée – avant versement des salaires et des dividendes – pourrait donc être pertinente.

De manière plus ciblée et plus facilement envisageable, ce qu’il s’agit de mettre au profit du développement collectif, plutôt qu’au profit de la minorité la plus riche, est la part de la valeur ajoutée qui est aujourd’hui accaparée, dans les grandes entreprises notamment, par les salaires des dirigeants et les dividendes versés aux actionnaires. Ces rémunérations sont en pleine augmentation alors que la moyenne globale des revenus de la population baisse et que les précarités augmentent de toutes parts .

Concernant les cotisations sur les hauts salaires, à défaut d’interdire ces rémunérations pour cause d’indécence et d’inégalité criante, au-delà d’un certain seuil ces cotisations pourraient être soumises à des taux de cotisation croissants.

Aujourd’hui, à l’opposé de cette mesure de justice sociale, les cotisations sociales concernant le chômage et les retraites pour les hauts salaires sont plafonnées. De ce fait, au-delà de ce plafond, fixé pour 2023 à 3666 € bruts mensuels, les salaires sont exonérés de ces cotisations.

Concernant les dividendes, il n’est pas certain que le principe de la cotisation puisse être légalement appliquer, les bénéficiaires de ces rémunérations du capital n’étant pas forcément bénéficiaires des prestations sociales mises en œuvre. Il pourrait donc être plus opportun de transformer et d’adapter le système de contributions sociales existant. Aujourd’hui la CSG (Contribution sociale généralisée) et la CRDS (Contribution pour le remboursement de la dette sociale) sont prélevées sur toute forme de revenu y compris ceux des prestations sociales. L’objectif serait plutôt de cibler ces contributions notamment sur les dividendes, en appliquant des taux croissants proportionnels au niveau de rétribution.

Ce système de contribution sociale constituerait cependant une entorse au principe de cotisation que nous souhaitons réinstituer comme source principale de financement de la SSEU. Le problème des contributions sociales est qu’elles relèvent de l’impôt géré par l’Etat. Pour autant, si cet impôt est spécifiquement attribué au financement de la SSEU et géré par ses instances, sans prérogative étatique sur son calcul et son utilisation, elle peut constituer un complément juste et pertinent à la cotisation.

Contributions sociales et écologiques dédiées à la SSEU

Au-delà des contributions sociales visant les dividendes, d’autres contributions pourraient être mises en place.

En vue d’imposer une transformation du système de production dans une perspective de réduction rapide des impacts négatifs de l’économie sur les écosystèmes et les équilibres écologiques, plusieurs économistes et experts défendent la mise en œuvre d’un système de prise en compte des « externalités négatives » dans le bilan comptable des entreprises.

En effet, toute activité économique a des coûts cachés qu’elle reporte sur la société. Par exemple, l’intensification des pratiques agricoles industrielles entraîne une perte de la biodiversité impactant notamment la pollinisation. La pollution aérienne liée aux transports et à l’industrie engendre des coûts sanitaires qui commencent tout juste à être chiffrés. Les coûts du traitement des déchets radioactifs et du démantèlement des centrales nucléaires sont restés longtemps invisibles ou très fortement sous-évalués lorsqu’il s’agissait de comparer les différentes productions d’énergie en France. Ces exemples illustrent ce qu’on appelle les externalités négatives. Dans chaque cas, des tiers doivent ou devront payer des coûts liés à des décisions et des usages qui ne sont pas de leur fait.

Ces externalités négatives, sociales et écologiques, ne sont pas aujourd’hui prises en compte dans les bilans d’activité des entreprises. Dans le système économique marchand concurrentiel aujourd’hui dominant, cela favorise grandement celles qui détruisent les écosystèmes aux dépens de celles qui tachent de les préserver ou de les restaurer.

Afin de corriger ce dysfonctionnement majeur dans l’économie, au-delà d’une inscription dans les bilans, une part de ces externalités négatives sociales et écologiques pourraient être prélevées sous forme de contributions sociales et écologiques dédiées à la SSEU. Ces contributions auraient un effet direct sur le calcul de la rentabilité de ces entreprises et constitueraient un moyen de financement potentiellement conséquent pour développer le réseau conventionné.

Au-delà des prélèvements sur la richesse produite

Aussi nécessaires et justes soient-ils, ces différents systèmes de cotisations ou de contributions présentent cependant une limite qui doit être prise en compte.

Hors mis au sein de l’économie conventionnée que nous souhaitons développer à grande échelle, les activités économiques les plus solvables sont souvent liées à l’exploitation des énergies fossiles, à l’exploitation des ressources et des humains, à la délocalisation et la sous-traitance ou à la surconsommation de masse. Ce sont donc aussi celles dont nous devons nous défaire.

Qu’il s’agisse de cotisations ou de fiscalité, il n’est en rien souhaitable de dépendre des bons résultats des entreprises les plus néfastes pour financer ou subventionner les activités les plus nécessaires ou vertueuses.

Il semble donc important de concevoir les augmentations de cotisations et de contributions sociales, qui permettent le transfert des richesses d’un système à l’autre, comme des mesures à courts ou moyens termes.

A plus long terme, d’autres modes de financement doivent être envisagés, qui ne soient pas dépendants du PIB et de la croissance économique, ou des activités qu’il faudrait mettre à l’arrêt.

Une banque dédiée au développement du réseau conventionné

Afin d’augmenter la capacité de financement de la SSEU à partir des cotisations et des contributions collectées, sans avoir recourt aux emprunts auprès des grandes banques privées, il pourrait être intéressant de conventionner une banque partageant les critères et les objectifs sociaux et écologiques de la SSEU.

Sachant que le ratio de solvabilité bancaire actuel peut permettre à une institution bancaire de prêter jusqu’à 5 ou 6 fois le montant de ce qu’elle possède en capital, le conventionnement d’une banque associée à la SSEU pourrait permettre d’accorder des financements au moins cinq fois supérieur à la valeur du capital apporté par la SSEU à cette banque. Le remboursement des prêts seraient garanti par les cotisations et contributions à venir.

Dans le cadre du conventionnement, la banque concernée devrait respecter l’ensemble des critères sociaux et écologiques de la SSEU. Elle serait placée sous contrôle et évaluation des instances démocratiques de la SSEU.

Ce système permettrait à la SSEU de multiplier par cinq sa capacité de financement du réseau conventionné par rapport au total des cotisations et des contributions déjà collectées, dans le respect stricte de ses objectifs.

Système de crédit mutualisé

Pouvant être associé au système de monnaie complémentaire Sécu évoqué précédemment, il serait envisageable de mettre en œuvre au sein du réseau conventionné, un système de « crédit mutualisé », ou « Barter* » en anglais.

Un tel système a été expérimenté à grande échelle par les PME suisses en 1934, en réponse à la crise qui sévissait depuis 1929. Les PME suisses ont alors décidé de mettre en œuvre un système leur permettant de travailler et d’échanger entre elles indépendamment du franc suisse en dévaluation. Ce système leur a permis de traverser sans grand dommage les crises successives entre 1934 et 1945. Aujourd’hui, 60000 PME suisses utilisent encore le nommé « WIR* » en complément de leurs échanges en franc suisse ou autres devises. Cette monnaie particulière, appartenant à ses utilisateurs, est aujourd’hui officiellement intégrée au système monétaire suisse.

Dans leur fonctionnement, ces systèmes de crédit mutualisé ou Barter sont des systèmes d’échange inter-entreprises.

Ces « monnaies Barter » sont utilisables uniquement entre les membres de leur réseau. Elles peuvent avoir une valeur d’échange équivalente à la monnaie officielle pour en faciliter l’usage. Mais à la différence des monnaies complémentaires, elles ne sont pas convertibles en monnaie classique.

Concrètement, le principe de fonctionnement de ces « quasi-monnaies » repose sur la possibilité d’avoir des comptes négatifs pour les entreprises qui se fournissent en biens et services auprès des autres acteurs de la communauté.

En contre-partie, les fournisseurs de biens et de service voient leurs comptes crédités en positif. La somme cumulée des débits et des crédits sur l’ensemble du réseau reste égale à zéro. L’équilibre s’établit au fur et à mesure des échanges entre les membres.

Il n’y a donc pas besoin d’avoir une réserve monétaire préalable pour pouvoir échanger et se développer au sein du réseau constitué. Il n’y a pas non plus de dette à rembourser, ni d’intérêt à payer.

Il s’agit d’un système fondé sur la solidarité et la confiance entre les membres. Les membres définissent entre eux les règles permettant de gérer leur système de manière fiable.

Les systèmes de barter, nombreux en Amérique du nord, se développent en Europe, sans difficulté au regard des traités européens. Rien n’empêche donc d’envisager à court terme la création d’un tel système, géré par les instances de SSEU et les professionnels conventionnés.

Ce « barter Sécu », indépendant des cotisations collectées pour le financement des droits, ajouterait un pouvoir de développement propre au réseau conventionné dédié aux missions de la SSEU.

Recours à la création monétaire par la BCE

Selon les principes économiques et financiers en vigueur, toute création monétaire est aujourd’hui liée à une dette nécessairement remboursable avec intérêts dus aux créanciers.

En Europe, depuis les accords de Maastricht, les États ont l’obligation de se financer auprès des banques privées. Les banques centrales nationales sont assujetties à la Banque centrale européenne et ne peuvent plus financer, par création monétaire ou circuit du trésor, les dépenses publiques ou les investissements décidés par les États, comme ce fut le cas pour la reconstruction des pays européens après la seconde guerre mondiale.

La Banque centrale européenne, en dehors de tout contrôle démocratique, ne prête ainsi qu’aux banques privées. Les traités européens lui donnent pour mission quasi unique de limiter l’inflation.

Ces principes n’ont cessé de justifier les campagnes d’austérité budgétaire des dernières décennies.

Au nom de ces dogmes, la BCE, le FMI et la commission européenne ont notamment imposé à la Grèce un plan massif de privatisation des biens publics et de réduction à grande échelle des dépenses de l’État, ce qui a eu pour conséquence la paupérisation de la majorité de la population.

Sauf à vouloir imposer des conditions de vie misérables à toutes les populations européennes, compte-tenu des quantités des devises mises en circulation face aux crises et aux évènements sanitaires et climatiques qui s’enchaînent et qui vont s’amplifier, les dogmes européens qui prévalent aujourd’hui concernant la création monétaire pourraient être renversés.

Déjà depuis 2015, suite à la crise financière de 2008, pour sauver le système bancaire, la Banque centrale européenne contourne les principes qui lui interdisent de financer directement les États, en rachetant aux banques privées, par milliards d’euros, l’équivalent des prêts que celles-ci accordent aux États.

En période de pandémie COVID, les États ont mis sur la table des milliers de milliards d’euros et de dollars à l’échelle internationale, pour éviter un processus d’effondrement économique et financier généralisé.

Le débat engagé en 2021 par 150 économistes européens, demandant d’annuler les 3000 milliards d’euros de dettes publiques ainsi détenues par la BCE, en contre-partie d’engagements d’investissements écologiques à la hauteur des enjeux, montre que la remise en question des principes monétaires européens est aujourd’hui possible.

L’amplification des catastrophes écologiques et la menace des pénuries en énergie, en eau et matières premières, aujourd’hui accentuée par la guerre en Ukraine, pourraient pousser vers d’autres formes de création monétaire par la BCE, devenant cette fois « libres de dette ».

En 2020, les économistes Alain Grandjean et Nicolas Dufrêne, dans leur livre « Une monnaie écologique* » ont ainsi plaidé pour une création monétaire sans dette par la BCE, placée sous contrôle démocratique, et mise au service d’un grand plan visant la neutralité carbone en 2050.

Le pouvoir de création monétaire sans dette ni intérêt que possède la BCE, ouvre donc maintenant des perspectives jusqu’alors inenvisageables.

Si un tel renversement de paradigme monétaire et financier devenait possible au sein de l’Union européenne, il serait particulièrement pertinent que la Sécurité sociale et écologique universelle soit missionnée pour gérer le fruit de cette création monétaire au niveau national.

Cette perspective semble cependant difficile à envisager à court terme. La mise en œuvre de la Sécurité sociale et écologique universelle ne peut donc pas reposer sur cette hypothèse.

Pour autant, à moyen terme, dans une situation planétaire en dérèglement accéléré, il semble crucial de préparer le possible recours à ces nouveaux modes de financement des activités humaines répondant à l’intérêt général.

C’est probablement le seul moyen qui pourra permettre d’organiser et développer à grande échelle, un système efficace et salutaire de solidarité entre les humains et de préservation du monde vivant, aux niveaux des pays, comme au niveau international.

La Sécurité sociale et écologique universelle se donne concrètement cette mission à l’échelle nationale, mais rien ne garantit qu’elle sera effectivement investie, le temps venu, pour recevoir ce type de financement.

Ce sera donc l’un des enjeux futurs, probablement peu éloigné de notre temps présent.